Une perspective autrichienne sur l'égalité

Mises, Hayek et Rothbard défendent le libéralisme classique fondé non sur l’égalité substantive (irréaliste et incompatible avec la liberté), mais sur la liberté individuelle et l’égalité formelle devant la loi. L’égalité réelle exigerait une coercition totalitaire destructrice ; seule l’égalité juridique, aveugle aux différences, permet la coopération sociale pacifique, la prospérité et la paix. Toute tentative d’égalisation forcée menace la civilisation.

LUDWIG VON MISESFRIEDRICH HAYEKSOCIALISMELIBÉRALISME CLASSIQUE

Wanjiru Njoya

11/22/20256 min read

Ludwig von Mises soutenait que la « philosophie libérale du XIXe siècle », ou tradition libérale classique, ne repose pas sur l’égalité, mais sur la liberté. Il rejetait l’idée selon laquelle tous les hommes seraient factuellement ou substantiellement égaux. Il considérait la notion d’égalité substantive – parfois appelée égalité réelle ou véritable – comme incompatible avec la liberté individuelle et comme un cheval de Troie pour des projets interventionnistes coercitifs visant à égaliser tous les membres de la société. Pour lui, la liberté était essentielle à la coexistence pacifique et à la civilisation occidentale elle-même. Mises prenait donc très au sérieux la menace que représentent pour la paix et la prospérité les projets égalitaristes par lesquels les gouvernements cherchent à rendre tous leurs citoyens égaux. Dans son ouvrage Liberalism, il remontait les racines de cette croyance erronée en l’égalité jusqu’aux Lumières :

« Les libéraux du XVIIIe siècle, guidés par les idées du droit naturel et des Lumières, exigeaient pour tous l’égalité des droits politiques et civils parce qu’ils partaient du principe que tous les hommes sont égaux. […]

Rien, cependant, n’est aussi mal fondé que l’affirmation de l’égalité prétendue de tous les membres du genre humain. Les hommes sont totalement inégaux. Même entre frères, il existe les différences les plus marquées sur le plan physique et mental. La nature ne se répète jamais dans ses créations ; elle ne produit rien en série et ses produits ne sont jamais standardisés. »

De même, Friedrich von Hayek rejetait l’idée selon laquelle l’idéal libéral classique de justice repose sur l’égalité. Dans La Constitution de la liberté, il affirmait que la justice doit être fondée sur la liberté individuelle, laquelle ne présuppose pas que tous soient égaux. Il mettait en garde : « nous ne devons pas oublier que les individus sont très différents dès le départ… En tant qu’affirmation factuelle, il est tout simplement faux que “tous les hommes naissent égaux”. » Murray Rothbard reprenait ce thème dans L’égalitarisme comme révolte contre la nature, soutenant qu’un monde où tous les êtres humains seraient égalisés par la coercition étatique serait un monde procustéen digne des pires fictions d’horreur. Il posait la question :

« Qu’est-ce, en réalité, que « l’égalité » ? Le terme est beaucoup invoqué mais rarement analysé. A et B sont « égaux » s’ils sont identiques l’un à l’autre quant à un attribut donné. Ainsi, si Smith et Jones mesurent exactement tous les deux un mètre quatre-vingt-trois, on peut dire qu’ils sont « égaux » en taille… Il n’existe donc qu’une seule façon pour deux personnes d’être réellement « égales » au sens le plus complet : elles doivent être identiques dans tous leurs attributs. »

Hayek, comme Mises, défendait néanmoins le principe de l’égalité devant la loi. Bien qu’ils rejetassent tous deux l’égalité substantive, ils soutenaient que l’égalité formelle – ou égalité devant la loi – est indispensable à la coopération sociale sous l’État de droit. Si l’égalité devant la loi ne repose pas sur l’égalité factuelle, sur quoi repose-t-elle alors ? Cela peut sembler contradictoire de défendre l’égalité formelle tout en rejetant l’égalité substantive, mais, comme l’expliquait Hayek, l’égalité substantive mine en réalité l’égalité formelle parce qu’elle méconnaît précisément la raison pour laquelle l’égalité formelle est importante. La justice dans l’idéal libéral classique était décrite comme aveugle, non parce qu’il n’existe aucune différence entre les personnes, mais parce qu’elle est aveugle à ces différences. Le principe de justice aveugle est totalement perdu lorsqu’on estime que nous ne pouvons avoir les mêmes droits que si nous sommes, en fait, identiques, et qu’il faut rendre tout le monde identique par toutes les interventions possibles afin d’être en accord avec le désir que nous avons tous d’avoir des droits égaux. La justice est aveugle parce que c’est la meilleure façon de maximiser le champ de la liberté individuelle. Sous une justice aveugle, personne n’est soumis à des obligations ou sanctions légales auxquelles d’autres ne seraient pas soumis, simplement en raison de son identité ou de ses caractéristiques personnelles. Comme le formulait Hayek : « Rien n’est plus nuisible à l’exigence d’un traitement égal que de la fonder sur une hypothèse aussi manifestement fausse que celle de l’égalité factuelle de tous les hommes. » Mises et Hayek voyaient tous deux dans la liberté individuelle la seule justification de l’égalité formelle et insistaient sur le fait que l’égalité devant la loi est la seule forme d’égalité compatible avec la liberté. Dans Liberalism, Mises écrivait :

« …ce que [le libéralisme] a créé, ce n’est que l’égalité devant la loi, et non l’égalité réelle. Toute la puissance humaine serait insuffisante pour rendre les hommes réellement égaux. Les hommes sont et resteront toujours inégaux… Le libéralisme n’a jamais visé autre chose que cela. »

On peut se demander pourquoi la loi devrait se soucier de maintenir l’égalité formelle, ou traitement égal devant la loi, si les gens ne sont pas, en fait, égaux. Mises avançait deux raisons. La première est que la liberté individuelle est essentielle à la coopération sociale. Il soutenait que la liberté individuelle est justifiée parce qu’elle favorise le bien de l’ensemble et que le libéralisme classique « a toujours eu en vue le bien du tout, et non celui d’un groupe particulier ». Le bien du tout ne peut être atteint que par la coopération sociale, et il ne peut y avoir de coopération sociale là où les hommes ne sont pas libres. Il définissait la société comme « une association de personnes en vue d’une action coopérative », et la coopération est maximisée lorsque les individus sont libres de s’engager dans des échanges pacifiques et volontaires fondés sur la division du travail. Le bien du tout, et donc la coopération sociale, dépendent à leur tour de la liberté individuelle et des droits de propriété privée. Mises voyait là la distinction essentielle entre libéralisme classique et socialisme :

« Le libéralisme se distingue du socialisme, qui professe lui aussi viser le bien de tous, non par le but qu’il poursuit, mais par les moyens qu’il choisit pour atteindre ce but. »

La seconde raison est « le maintien de la paix sociale ». Mises affirmait que la coexistence pacifique est indispensable à la civilisation et à la prospérité, et qu’elle exige que chacun dispose des mêmes droits devant la loi. Un système juridique qui accorde des privilèges particuliers à un groupe au détriment d’un autre conduit inévitablement au ressentiment, à l’hostilité, au conflit et, finalement, à la guerre. Mises soutenait que « les privilèges de classe [ou de groupe] doivent disparaître pour que le conflit qui les oppose cesse ». Rothbard soulignait de même que les projets égalitaristes mènent inexorablement au conflit, avertissant que toute société qui se donne pour objectif de produire l’égalité s’engage sur la voie de la tyrannie : « Une société égalitaire ne peut espérer atteindre ses objectifs que par des méthodes totalitaires de coercition. »

Les socialistes objectent à la notion libérale classique d’égalité formelle en avançant que, puisque les hommes ne sont pas égaux en fait, la loi devrait au moins tenter, dans la mesure du possible, de les rendre égaux. Ils proposent d’y parvenir en supprimant les privilèges dont jouissent certains et qui ne sont pas accessibles à tous, ou en créant des droits spéciaux pour ceux qui sont désavantagés afin de compenser leurs handicaps. Mises rejetait cette notion de « privilège ». Ce qu’un homme gagne grâce à son talent ou à ses compétences, ce qu’il acquiert sous le régime de la propriété privée, ne saurait être qualifié de « privilège », car cela est justifié comme nécessaire à la coopération sociale et au bien de l’ensemble :

« Le fait qu’à bord d’un navire en mer un homme soit capitaine et que les autres constituent son équipage et soient soumis à ses ordres représente certainement un avantage pour le capitaine. Cela n’en est pas moins un privilège du capitaine s’il possède la capacité de diriger le navire entre les récifs par temps d’orage et de rendre ainsi service non seulement à lui-même, mais à tout l’équipage. »

Mises considérait donc l’égalité formelle, ou égalité devant la loi, comme un composant essentiel de la liberté. Sa défense de la liberté reposait à son tour sur le fait que la liberté est indispensable à l’épanouissement humain. L’importance de la liberté comme fondement philosophique de l’égalité est claire : il s’ensuit que tout « droit » à l’égalité qui porte atteinte à la liberté individuelle est invalide. Ce sont là, comme le disait Rothbard, de faux droits.

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Originale sur Mises Institute