L’IPC comme preuve d’une erreur méthodologique

Le texte critique le virage quantitatif de l’économie moderne, illustré par l’Indice des prix à la consommation (IPC). Il n’existe pas de « niveau général des prix » mesurable, le « panier de biens » est une fiction statistique incapable de refléter la réalité individuelle, et les effets Cantillon montrent que l’inflation touche inégalement. L’utilisation de l’IPC par la Fed a provoqué des bulles (2008, 2021-2022) et des dommages financiers. L’économie doit redevenir une science qualitative de l’action humaine, non une pseudoscience prescriptive.

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Keith Wilkinson

11/22/20254 min read

La Richesse des nations d’Adam Smith (1776) est considérée comme l’acte de naissance de l’économie moderne, discipline relevant alors de la pensée philosophique et politique. De Smith à Marx, l’économie fut essentiellement une explication du comportement humain jusqu’à ce que les nations occidentales – portées par les progrès technologiques et la Révolution industrielle – cherchent à la transformer en science quantitative. Les Principes d’économie politique d’Alfred Marshall (1890) marquent le début de ce tournant méthodologique et déclenchent un débat durable : l’économie est-elle quantitative ou qualitative ?

La vision quantitative applique à l’économie la précision mathématique attendue des sciences naturelles comme la physique ou la chimie pour modéliser et prédire. La vision qualitative la juge tout aussi rigoureuse, mais cantonne la réflexion économique à l’étude du comportement humain et des marchés. Le virage quantitatif s’est prolongé tout au long du XXᵉ siècle avec le keynésianisme, l’école néoclassique et le monétarisme, favorisant l’apparition d’une multitude de statistiques économiques nouvelles. L’indice des prix à la consommation (IPC) en est un exemple emblématique – et une illustration de l’erreur méthodologique consistant à abandonner l’approche qualitative au profit d’une approche purement quantitative.

Il n’existe pas de « niveau général des prix »

Quand on parle de prix, on imagine volontiers un « niveau général des prix » dont la variation entre deux dates permettrait de mesurer l’inflation. Or ce niveau général n’existe pas. Le marché est constitué de millions d’acheteurs et de vendeurs qui, à chaque instant, conviennent d’un prix précis pour une transaction précise. Ces échanges se produisent en continu, des centaines de millions de fois par jour : impossible d’en extraire un « niveau » stable. C’est comme vouloir ramener le comportement d’un immense essaim d’abeilles à un seul chiffre.

De plus, quand de la nouvelle monnaie entre dans l’économie, les prix des biens et services ne réagissent ni également ni simultanément. Ceux qui bénéficient en premier de ces fonds font monter certains prix avant que les salaires des consommateurs plus éloignés n’aient augmenté. Mises résumait ces effets Cantillon ainsi :

« Quand on parle de « niveau des prix », on a en tête l’image d’un liquide qui monte ou descend uniformément selon qu’on augmente ou diminue sa quantité, comme dans un réservoir. Or, avec les prix, il n’existe rien de tel. Les prix ne varient jamais tous dans la même proportion ni au même moment. Il y a toujours des prix qui évoluent plus vite, qui montent ou descendent plus rapidement que d’autres. »

Un panier plein d’erreurs

L’IPC repose sur un « panier de biens » qui évoque une charmante image de panier en osier et de nappe à carreaux. Rien de charmant, en réalité, dans le mode de calcul.

D’abord, pour mesurer fidèlement les variations de prix, il faudrait une constance parfaite des biens et services retenus. Or le Bureau of Labor Statistics (BLS) utilise un processus pluriannuel, échantillonnant 211 catégories de biens et services dans 32 zones géographiques, pour 243 articles différents. Cela génère une matrice de 7 776 prix « article-zone ». Ces prix reçoivent ensuite des pondérations variables dans l’algorithme opaque de l’IPC. Si un grand volume de données peut sembler légitime, l’agrégation de prix hétérogènes sur d’immenses territoires produit un indicateur qui ne ressemble en rien au panier réel ni aux prix réellement payés par les consommateurs individuels. Le type, la qualité et le mix de produits achetés relèvent de décisions uniques prises dans des circonstances uniques. Tenter de les représenter par un « panier moyen » est hautement contestable. Mises l’avait encore une fois exprimé avec justesse : « Une ménagère avisée en sait bien plus sur l’évolution des prix qui touchent son propre foyer que toutes les moyennes statistiques. »

L’utilisation de l’IPC pour orienter la politique monétaire a causé des dommages financiers considérables

Compte tenu des limites de sa méthodologie, l’IPC ne peut qu’être un indicateur trompeur de l’état de l’économie. Cela fut patent au début des années 2000 : l’inflation mesurée par l’IPC se situait dans la fourchette cible de 2-3 % par an et la Fed estimait que tout allait bien. Pour « gérer » la reprise post-bulle internet, elle maintint une politique monétaire accommodante, gardant le taux des fonds fédéraux entre 1 et 3 %. Malgré un IPC « sage », une bulle immobilière se formait du fait de taux hypothécaires très bas. Dans certaines régions, les prix des logements augmentaient de plus de 10 % par an. Le signal erroné d’un IPC bas incita la Fed à prolonger cette politique jusqu’en 2005-2006. Les prix immobiliers atteignirent alors des niveaux insoutenables, débouchant sur le krach de 2008.

Des signaux tout aussi trompeurs se répétèrent en 2020-2021 lors des programmes massifs de relance post-Covid. Malgré des dépenses publiques colossales, l’IPC resta d’abord modéré. Quand il finit par exploser à plus de 9 % en 2022, le boom inflationniste était déjà bien engagé, causant de graves préjudices financiers à la population américaine.

Conclusion

L’économie naquit comme discipline qualitative visant à comprendre les marchés et l’action humaine dans leur universalité. Ce rôle commença à s’altérer au début du XXᵉ siècle avec la conviction qu’elle pouvait offrir une précision quantitative. À grand renfort de mathématiques, les économistes se mirent à modéliser et à prescrire des politiques de gestion de l’économie. L’usage gouvernemental de l’IPC illustre parfaitement cette hubris.

Qu’il s’agisse de l’inexistence d’un niveau général des prix, de l’impossibilité d’agréger un « panier de biens » qui reflète fidèlement l’expérience vécue des consommateurs individuels, ou des nombreuses preuves que le recours à l’IPC a conduit à des politiques monétaires désastreuses, le constat est clair : ce tournant méthodologique fut une erreur. L’économie est une discipline rigoureuse, mais elle doit retrouver sa vocation originelle de science qualitative de l’action humaine et des marchés, et non de prévisions chiffrées ni de prescriptions politiques au service de l’État.

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Original sur Mises Institute