La route de la décivilisation : inflation et érosion morale de la société

L’article explique que l’inflation n’est pas une simple hausse des prix, mais une expansion artificielle de la monnaie par les gouvernements et les banques centrales – une forme de contrefaçon légalisée. Cette corruption du langage et de la monnaie fausse les signaux de prix (effet Cantillon), punit l’épargne, récompense l’endettement, érode les valeurs morales (dépendance, matérialisme, mensonge institutionnalisé) et accélère la décivilisation. Seule une monnaie saine peut restaurer la vérité économique et préserver la civilisation.

BANQUE CENTRALEPHILOSOPHIEINFLATIONDROIT À LA PROPRIÉTÉ

Michael Matulef

11/21/20257 min read

Toute grande illusion économique commence par la corruption d’un mot. L’inflation désignait autrefois, dans l’usage courant comme dans la vérité, l’expansion artificielle de la masse monétaire et du crédit. Avec le temps, on l’a redéfinie pour n’en désigner que la conséquence plutôt que la cause. Cette inversion délibérée du langage sert un objectif politique : elle transfère la responsabilité de ceux qui créent la monnaie à ceux qui ne font que la dépenser, transformant un acte de fraude monétaire en simple « phénomène » statistique.

Le résultat est profond. En redéfinissant l’inflation, les gouvernements en ont masqué la nature, les économistes en ont perdu le sens, et les citoyens en sont venus à accepter leur appauvrissement progressif comme une fatalité inévitable. Plus que toute autre école, la tradition autrichienne s’efforce de restaurer cette clarté perdue : nommer les choses par leur vrai nom et rappeler que l’inflation n’est pas un symptôme de l’échec du capitalisme, mais l’expression de l’agression gouvernementale contre la monnaie elle-même.

La nature de l’inflation

Pour l’École autrichienne, l’inflation n’est pas une hausse générale des prix, mais une expansion artificielle de la quantité de monnaie. Tout le reste découle de cette cause première. Les prix ne montent ni uniformément, ni spontanément. Il existe certes des raisons d’offre et de demande qui peuvent faire monter les prix ; mais aujourd’hui, ceux-ci augmentent principalement parce que des unités monétaires supplémentaires sont injectées dans l’économie, altérant la structure de la production et faussant le calcul économique dès la base.

Comme l’insistait Ludwig von Mises dans Liberté économique et interventionnisme :

« Il existe aujourd’hui une confusion sémantique très répréhensible, voire dangereuse, qui rend extrêmement difficile à l’homme non averti de saisir la véritable situation. L’inflation, terme que l’on a toujours employé partout, et particulièrement dans ce pays [les États-Unis], désigne l’augmentation de la quantité de monnaie et de billets en circulation ainsi que des dépôts bancaires soumis à chèque. Or, on emploie aujourd’hui le mot « inflation » pour désigner le phénomène qui est la conséquence inévitable de l’inflation, à savoir la tendance générale des prix et des salaires à la hausse. La conséquence de cette déplorable confusion est qu’il n’existe plus de terme pour désigner la cause de cette hausse des prix et des salaires. Il n’y a plus de mot pour signifier ce qui, jusqu’à présent, s’appelait inflation. Il s’ensuit que personne ne se soucie plus de l’inflation au sens traditionnel du terme. Comme on ne peut parler de quelque chose qui n’a pas de nom, on ne peut le combattre. Ceux qui prétendent lutter contre l’inflation ne combattent en réalité que la conséquence inévitable de l’inflation, à savoir la hausse des prix. Leurs efforts sont condamnés à l’échec parce qu’ils n’attaquent pas la racine du mal. »

Ce n’est que plus tard, lorsque l’opportunité politique l’exigea, que la définition fut corrompue pour signifier « une hausse générale des prix ». Ce tour de passe-passe sémantique permit aux gouvernements de se déclarer innocents tout en commettant l’acte même qu’ils avaient fait disparaître par redéfinition.

Murray Rothbard porta l’intuition de Mises à sa conclusion logique dans L’État contre la Fed :

« Le seul véritable responsable de l’inflation, la Réserve fédérale, ne cesse de pousser des cris d’alarme sur « l’inflation », dont elle rend responsable à peu près tout le monde sauf elle-même. Nous assistons au vieux stratagème du voleur qui crie « Au voleur ! » tout en s’enfuyant en désignant d’autres personnes devant lui. On commence à comprendre pourquoi il a toujours été important, pour la Fed comme pour les autres banques centrales, de s’entourer d’une aura de solennité et de mystère. Car si le public savait ce qui se passe réellement, s’il pouvait déchirer le rideau qui dissimule l’inscrutable Magicien d’Oz, il découvrirait rapidement que la Fed, loin d’être la solution indispensable au problème de l’inflation, en est le cœur et la cause. »

Chaque expansion monétaire, argumentait Rothbard, constitue une forme de contrefaçon légalisée qui « vole tous les détenteurs de monnaie », redistribuant la richesse des épargnants et des producteurs vers ceux qui se trouvent le plus près des points d’injection de la nouvelle monnaie. Les prix s’ajustent de façon inégale parce que la nouvelle monnaie n’atteint pas tous les portefeuilles simultanément. Elle circule d’abord vers les emprunteurs, les banques et les contractants de l’État avant de se diffuser dans l’économie globale. Cet « effet Cantillon » est au centre de la compréhension autrichienne : la nouvelle monnaie modifie les prix relatifs à partir des points d’injection ; l’inflation avantage ceux qui la reçoivent en premier et pénalise ceux qui la reçoivent en dernier.

Comme le montre Jörg Guido Hülsmann dans Comment l’inflation détruit la civilisation, l’inflation naît « d’une violation des règles fondamentales de la société », transformant ce qui devrait être un échange économique honnête en tromperie systématique. L’inflation n’est pas seulement une distorsion monétaire, mais un risque moral qui corrompt le langage même de la communication économique. Quand l’inflation fiat « institutionnalise le risque moral et l’irresponsabilité », elle détruit la capacité du système des prix à transmettre la vérité. Dans un tel environnement, où « tout est ce qu’on l’appelle », il devient difficile d’expliquer la différence entre vérité et mensonge ; les prix cessent d’être des signaux fiables coordonnant les décisions économiques. L’inflation « incite les gens à mentir sur leurs produits, et l’inflation chronique favorise l’habitude du mensonge routinier », propageant cette corruption « comme un cancer sur le reste de l’économie ».

Mais le dommage va bien au-delà des signaux de prix falsifiés : il atteint le tissu moral de la civilisation elle-même. L’inflation « réduit constamment le pouvoir d’achat de la monnaie » et « la conséquence en est le désespoir et l’effritement des normes morales et sociales ». Par des politiques fondées sur l’endettement, « les gouvernements occidentaux ont poussé leurs citoyens dans une dépendance financière inconnue de toutes les générations précédentes ». Cette dépendance ronge le caractère :

Les dettes colossales sont incompatibles avec l’autonomie financière et tendent donc à affaiblir l’autonomie dans tous les autres domaines. L’individu endetté finit par prendre l’habitude de se tourner vers les autres pour obtenir de l’aide, au lieu de devenir un pilier économique et moral de sa famille et de sa communauté élargie. La pensée magique et la soumission remplacent la sobriété et le jugement indépendant.

Pire encore, « l’inflation rend la société matérialiste. De plus en plus de gens recherchent un revenu monétaire au détriment du bonheur personnel ». Il en résulte une culture où « l’inflation fiat laisse une tache culturelle et spirituelle caractéristique sur la société humaine » – une tache qui transforme des citoyens indépendants en sujets dépendants, érode les normes qui soutiennent la civilisation et révèle finalement l’inflation comme « une formidable machine de destruction sociale, économique, culturelle et spirituelle ».

L’inflation vécue

Le véritable théâtre de l’inflation n’est pas la feuille de calcul, mais le foyer. Le dommage est intime : il ne se mesure pas en agrégats économiques, mais dans les silencieux réajustements du quotidien. L’inflation est l’impôt le plus cruel et le plus imprudent, car il frappe invisiblement et érode le pouvoir d’achat de ceux qui sont le moins capables de s’en protéger. Elle détruit le lien entre effort et récompense, entre prudence et sécurité.

L’inflation punit l’épargne et récompense l’endettement. Celui qui épargne en monnaie perd ; celui qui s’endette gagne, du moins temporairement. La vertu de l’épargnant devient folie, la témérité du spéculateur devient avantageuse. Avec le temps, des sociétés entières modifient leurs préférences temporelles : l’impatience remplace la diligence, la consommation remplace la production et l’épargne. Quand le signal monétaire est corrompu, la société perd son orientation vers l’avenir. L’inflation décivilise en apprenant aux gens à vivre pour l’instant présent. C’est la décadence civilisationnelle.

Dans la vie quotidienne, cela se manifeste progressivement. La famille de classe moyenne qui dînait au restaurant chaque semaine mange désormais à la maison. Le jeune travailleur qui économisait pour acheter une maison voit son rêve s’éloigner chaque année. Le retraité, à qui l’on avait promis la sécurité par des placements « stables », découvre que cette stabilité était libellée en termes nominaux, non réels. Chacun s’adapte – économiquement, psychologiquement, moralement. Le dommage est lent, individualisé et cumulatif.

L’économiste autrichien ne voit pas l’inflation comme une statistique, mais comme une histoire de distorsion – une histoire d’inversion morale, de mauvaise allocation des ressources et de démoralisation sociale progressive. La calamité n’est pas seulement la hausse des prix, mais la confusion des valeurs et des choix. L’inflation est, en essence, un mensonge contre le temps et la valeur ; et comme tout mensonge, elle finit par s’effondrer sous le poids de ses propres contradictions.

Conclusion : l’argent sain, fondement de la civilisation

La voie à suivre n’a rien de mystérieux : c’est un choix. Les sociétés qui souhaitent se remettre des ravages moraux et économiques de l’inflation doivent commencer là où la corruption a commencé : par la monnaie elle-même. Le remède autrichien exige le retour à une monnaie honnête – une monnaie qui ne peut être gonflée à volonté, qui conserve sa valeur dans le temps et qui relie à nouveau effort et récompense.

Réclamer l’argent sain, c’est exiger le rétablissement de la vérité comme fondement de la vie économique. L’inflation est d’abord et avant tout un mensonge – un mensonge inscrit dans le support même que nous utilisons pour exprimer la valeur. Quand ce support est corrompu, l’architecture morale de la société s’effondre avec lui. Restaurer l’argent sain, c’est restaurer les conditions dans lesquelles la civilisation peut prospérer : où l’épargne s’accumule plutôt que de se dégrader, où la planification à long terme remplace le désespoir à court terme, et où la monnaie redevient l’alliée de la vertu plutôt que le moteur du vice.

L’inflation qui appauvrit et démoralise se poursuit, non par nécessité économique, mais par volonté politique et acquiescement public. L’histoire n’offre aucun réconfort à ceux qui ignorent indéfiniment les lois économiques. Choisir l’argent sain, c’est choisir la civilisation plutôt que la décadence. L’École autrichienne n’offre aucune promesse utopique, seulement une clarté implacable : l’argent sain est la condition préalable d’une société libre et civilisée ; son absence est la condition préalable de la barbarie.

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Original sur Mises Institute