Karl Popper : La Critique, la Science et la Fragilité de la Liberté

Cet essai explore la philosophie de Karl Popper, penseur de la falsifiabilité et de la société ouverte, en écho aux idées de Mises et Hayek. Il critique le scientisme, l'historicisme et la planification centralisée, soulignant la faillibilité humaine et l'incertitude comme fondements du progrès. Dans un monde technocratique, Popper rappelle que la liberté est une nécessité épistémologique : seule elle permet la correction d'erreurs et la découverte de vérités dispersées.

LIBERTÉPHILOSOPHIELIBERTARIANISMELIBÉRALISME CLASSIQUE

Marcos Giansante

12/2/20253 min read

« Nous sommes tous faillibles ; le progrès consiste à découvrir nos erreurs et à les corriger. » — Karl Popper

« L'action humaine est toujours rationnelle : non pas parce qu'elle est parfaite, mais parce qu'elle vise l'amélioration. » — Ludwig von Mises

« La tâche curieuse de l'économie est de montrer aux hommes combien peu ils savent de ce qu'ils imaginent pouvoir concevoir. » — Friedrich Hayek

Karl Popper appartient à cette rare lignée de penseurs dont la brillance ne réside pas dans l'offre de réponses définitives, mais dans le rappel, doux (et parfois féroce), que de telles réponses n'existent pas. Né à Vienne, formé dans la même atmosphère intellectuelle qui a façonné Mises et Hayek, Popper a mûri au XXe siècle, sous l'ombre de l'hybris épistémique et des catastrophes politiques. Son œuvre ne ressemble pas à un grand système ; elle évoque plutôt une lanterne portée dans la nuit, éclairant les erreurs, les dangers et les illusions qui entourent discrètement toutes les tentatives de planification centralisée.

Le point de départ est la même plaie philosophique que Hume avait ouverte des siècles plus tôt. Dans l'Enquête sur l'entendement humain, la fragilité de l'induction est mise à nu : aucun pont logique ne garantit que l'avenir ressemblera au passé. Popper n'a pas cherché à panser cette plaie ; il l'a transformée en épistémologie. Une théorie scientifique ne peut jamais être vérifiée, seulement réfutée. Elle tient non pas parce qu'elle est confirmée, mais parce qu'elle n'a pas encore été vaincue.

Cette épistémologie devient son arme la plus acérée contre la séduction moderne du scientisme — la croyance que des modèles mathématiques et des prédictions statistiques peuvent remplacer le jugement, l'expérience et la connaissance dispersée. Dans La Misère du historicisme, Popper démasque la tentation de transformer l'histoire en destin ; il voit en Platon, Hegel et Marx non pas des maîtres de la raison, mais des architectes de cages intellectuelles bâties sur la promesse dangereuse d'une prophétie historique.

Juxtaposé à l'École autrichienne, les affinités de Popper avec Hayek deviennent immédiatement visibles. Tous deux rejettent la connaissance centralisée et comprennent la vie sociale comme une confrontation ininterrompue avec l'incertitude. Hayek décrivait le marché comme un processus de découverte, magnifiquement articulé dans La Concurrence comme procédure de découverte. Popper décrivait la science comme un processus ouvert de correction d'erreurs. Leur convergence est indiscutable : la vérité ne peut exister sans la possibilité d'erreur, et l'ordre ne peut émerger sans liberté.

La relation entre Popper et Mises est plus tendue, mais profondément révélatrice. Popper se méfiait de la praxéologie parce qu'elle n'est pas falsifiable ; Mises rejetait cette objection parce que, pour lui, l'économie n'est pas une science empirique mais une science logique, fondée sur l'axiome selon lequel l'homme agit. Cette tension devient claire à la lecture de L'Action humaine aux côtés des Conjectures et réfutations. Malgré leurs désaccords méthodologiques, les deux penseurs s'opposent au même ennemi intellectuel : l'ingénierie sociale, la planification centralisée et l'illusion de l'infaillibilité des experts.

Cette fondation morale devient lumineuse dans La Société ouverte et ses ennemis, l'œuvre politique la plus durable de Popper. Il y argue que les sociétés libres dépendent d'institutions qui accueillent la critique, limitent le pouvoir et reconnaissent la faillibilité de toutes les autorités. Le véritable ennemi de la société ouverte est le dogmatisme, qu'il soit politique, scientifique, idéologique ou technocratique.

Si les avertissements de Popper semblaient urgents au XXe siècle, ils paraissent prophétiques aujourd'hui. Nous vivons dans une ère de plus en plus régie par des clergés diplômés, des prédictions algorithmiques et des certitudes bureaucratiques se déguisant en science. Les modèles parlent comme des oracles ; les experts parlent comme s'ils n'étaient pas liés par la faillibilité. Dans ce climat, Popper redevient indispensable.

Lu aux côtés de Hayek et de Mises, Popper révèle quelque chose de précieux : la liberté n'est pas seulement une valeur politique, mais une nécessité épistémologique. Seule la liberté permet aux sociétés de corriger leurs erreurs. Seule la liberté permet à l'information dispersée de devenir connaissance. Et seule la liberté protège l'humanité de ceux qui croient savoir assez pour façonner le monde au nom de tous les autres.

Dans une ère marquée par de nouvelles technocraties, de nouveaux dogmes et de nouvelles formes de censure — souvent drapées dans le langage de la science —, la voix de Popper perce avec une clarté inattendue. La vérité n'appartient à aucune institution. La science n'appartient à aucune hiérarchie. L'histoire n'appartient à aucun prophète. La vérité est une route ouverte, et la liberté est l'espace dans lequel cette route peut continuer d'être parcourue.

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Original sur Mises Institute